23 mars, deux ans plus tard...

A cette même heure il ya deux ans


Frérot,

 

06.30 : La tombée du lit est difficile ce matin. Je repense à la soirée que nous avons pu partager il y a deux ans tout juste. Alors, je n'étais pas réveillé lorsque, mû par cette soif de vie qui t’es propre, tu t’extirpais des bras de Morphée pour aller une fois de plus dévorer la Vie. Tu t’es alors mis en route, un ami à tes côté pour un insensé road-trip d’une journée autour des châteaux de la Loire que tu adorais tant. A cette même heure il y a deux ans, repu par une soirée haute en couleur que nous avions partagés ivres sans doute mais uniquement de vie et de joie, je dormais à poings fermés dans la canapé chez les parents. Avant de t’en aller, je te soupçonne de m’avoir contemplé d’un air gai et empli de fiereté puisque j’avais alors signé mon tout premier contrat d’embauche. Peut-être as-tu, d’un geste fraternel et protecteur, relevé sur moi le maigre pled qui me couvrait. Sans doute as-tu pensé, comme toujours, que la vie était belle et simple. Et puis, sans un bruit tu es parti t’installer à la table de l’existence.

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09.30 : J’arrive au travail ce matin alors qu’il y a deux ans tout juste, j’émergeais à peine et commençais tout juste à penser au ménage suite à notre folle soirée passée. Ce matin, de ménage point du tout, à part dans mes pensées. Sans doute étais-tu arrivé sur la Loire et peut-être visitais-tu déjà Chambord le magnifique ou mieux : Ussé l’intime, le préféré de notre père. Au sortir du métro qui m’a accompagné du pas trainant de gréviste à mon travail, je repense un instant à nos premières visites de ces lieux. Nous étions en primaire alors et c’est à trois familles que nous parcourrions la région. Visite touristique d’abord et, jeunes comme nous l’étions, nous grincions alors des dents à l’évocation d’un musée. Pour faire passer ces instants trop longs à nos yeux de gosses, je me souviens des jeux de pistes dans les différents sites, à la recherche d’un taint Sébastien ou d'une nième représentation du Massacre des innocents ; me reviennent les chasses à l’homme dans les jardins et enfin, lorsque la visite était finie, je me rappelle des papas des trois familles, sortant de leur poche qui une baguette, qui un saucisson ou un fromage, nous emmenant bienheureux déguster nos tous premiers grands crus dans les caves voisines.

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12.00 : Je m’apprête à aller en pause déjeuner avec l’équipe mais aujourd’hui plus que jamais j’ai l’estomac noué. A cette heure il y a deux ans, bercé par la procrastination typique des lendemains de soirée, je remettais à plus tard le ménage et notre ainé, un ami et moi-même allumions la console de jeux pour nous détendre. Tu devais déjeuner quelque part, peut être assis dans l’herbe d'un endroit fabuleux qui, par son charme pittoresque, aurai attiré ton œil, ta balade et ton casse-croute. A Paris, nous refaisions le monde et repassions en boucle les moments forts de la soirée de la veille ; tout était tranquille, serein.

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14.00 : Retour de pause et à mesure que la journée avance, mes muscles se tendent, mon être se ferme et mes nerfs se crispent. Il y a deux ans exactement c’était tout l’inverse qui se passait : Affalé dans les coussins d’un canapé - duquel, vautré, je n’envisageais pas même en rêve de m’extirper - je me demandais alors combien de temps il nous faudrait pour achever le jeu commencé à midi. Etais-tu déjà sur le chemin du retour ? Non, pas encore. Te connaissant tu devais mener encore ici et là pour les dernieres tribulations de ta chasse à l’instant clef, ta quête perpétuelle de sensations. Oui. Je te vois tout à fait : occupé, comme tu le disais toi-même, à négocier mieux que quiconque quelques instants de Vie à l’état brut sur la foire aux émotions qu’est l’existence. Tu riais sûrement de cette journée de plus volée au temps qui passe et sans doute échafaudais-tu déjà quelques plans pour le lendemain afin de tromper encore le cours des choses, d’être partout à profiter de l’instant, de le partager avec tous ceux qui comptent.

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16.30 : Je viens de finir de mener une interview par téléphone et bientôt je devrai quitter mon poste pour aller animer une conférence. Comme tu peux t’en douter, et bien qu’il s’agisse là de mon métier, le cœur n’y est pas. A peine je sors la tête un instant de mon activité, tel que je le fais à présent, qu’une vague de morosité  corrosive vient ronger mon âme par le cœur. A cette même heure il y a deux ans tu devais – je suppose – commencer à revenir vers les tiens et la capitale qui t’aimaient tellement de cette verve partagée et intime, celle là même qui est à l’origine des secrets qui te firent grandir ou de ceux que nous avons pu partager.

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17.30 : Je me rappellerai toujours de cet instant. Qu’importe si deux ans, dix ans, cent ans m’en éloignent et tentent insidieusement de me voler ce qui appartient sans nul douteà mes pires souvenirs. Alors que Romain, Tibo et moi sommes plongé dans le jeu, en parfaite immersion et à deux doigts de la fin, le téléphone sonne. Je ne connais pas ce numéro en 02 et demande à Romain de répondre. Quelle magistrale erreur pour le frère –sinon aîné – jumeau que je suis devenu à cet instant précis.
Quelques temps plus tôt, au retour de ta ballade, la vie que tu chérissais tant t’ai fait un sale coup. Cette chasse perpétuelle à l’encontre des instants qui filent vers le passé, bien moins intéressant pour toi que la réalité du présent ; cette course pour la vie s’achève brutalement pour mon plus grand dommage et une erreur idiote. Le chasseur épuisé que tu étais s’est laissé prendre par la course effréné de sa monture et cette poursuite fut ta dernière. Quelque part près de Tours, fatigué par tes 26 années déjà trop bien remplies de Vie, usé par tes espoirs, essoufflé par tes rêves d’un monde que tu t’échinais corps et âme à rendre toujours un peu meilleur ; au retour de ces moments de Vie volés l’espace d’une escapade, en un battement de cil à peine la Vie s’est retirée de son plus beau champion.  De cette heure, péniblement à jamais je garderai le sentiment de vide et de peur qui m’a soudainement envahi. Je me souviendrai du brand le bas à la maison : décidés, nous venions à ta rencontre après avoir prévenu les parents, en vacances en Jordanie.

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18.00 : Je suis en pleurs dans le RER qui mène à la conférence que je dois animer ce soir comme je l’étais alors dans la voiture de Tibo. Romain tentait en vain de me rassurer invoquant notre ignorance quant à la gravité du choc. Essayait-il alors de se convaincre lui-même ? Comprenait-il alors l’impact de ton accident révélé par la gendarmerie au bout du fil une demi-heure plus tôt ? Il assumait tant bien que mal son rôle d’aîné en tâchant de garder la tête froide et de veiller sur moi, au moins. Je l’ai regretté si fort cet instant précis où je me suis vu craquer lâchement, persuadé de n’être que trop réaliste. Au fond, sans trop savoir comment, je me doutais déjà que les nouvelles seraient terribles dans la bouche du médecin de Tours. Je t’ai pleuré. Dès cette prise de conscience sournoise qui me dictait pernicieuse que la fatalité de l’existence me privait de la vie d’un frère. A mon sens, la voiture nous menant vers toi n’allait pas assez vite. Je voulais être avec toi, te dire combien je t’ai aimé, combien je t’aimerai combien tu comptais et compteras à tout jamais. Je voulais tenir ta main encore chaude, je voulais tant de choses… mais dans ce trajet funèbre je réalisais déjà la portée funeste de cette horrible journée.

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23.00 : La conférence est un succès. Cette fois-ci elle aurait tout aussi bien pu être un bel échec, cela ne m’aurait nullement touché. Il y a une heure (et 2 années) à peine un médecin nous annonçait, à ton oncle, ta grand-mère notre aîné et moi, que « malgré tous leurs efforts, la chirurgie fut vaine ». Ces paroles du médecin je les entends encore. Je les maudis à jamais et jamais plus je ne souhaite les entendre pour l’un de mes pairs. La douleur est trop forte. Je m’effondre. Je m’en veux d’avoir imaginé cette fin sur le trajet pour Tours. Je m’en veux de ne pas être arrivé plus tôt. Pourquoi es-tu parti si vite ? Pourquoi t’avons-nous laissé partir si seul ?

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02.00 : A cette heure je reviens de chez ma Gondinette en taxi.  Radio Nostalgie diffuse une chanson de Piaf. Je me souviens encore que c’est  à toi que je dois cette découverte de plus. L’ironie ou la loi de Murphy qui me plaît tant font en sorte que s’écoule sur les ondes un « Non, rien de rien, non ! Je ne regrette rien »… et pourtant !! Nous sommes dans la nuit du 23 mars qui se meure. A cette heure à moins deux ans, j’étais cloitré dans un Novotel avec Tibo muet. Notre aîné est rentré à Paris avec la grand-mère qu’il nous reste et notre oncle pour récupéré les parents au matin. C’est à l’aéroport que maman a appris la nouvelle de la part de son frère. Je voudrais penser à eux mais n’y parviens pas. Nous verrons demain. Tibo d’un regard encourageait les appels téléphoniques à mes proches. Chaque appel déborde de douleur et de larmes mêlées. Nous parlons de toi et de la douleur qui est là, omniprésente. Les choses ont changé trop vite et en trop peu de temps pour être préhensibles à mes bras d’adolescent. Dans le taxi, la radio me nargue et déclare « Pourquoi je vis, pourquoi je meure ? » et l’espace d’une seconde, pour suivre la chanson,  « j’aimerai bine être un oiseau, je suis mal dans ma peau ». Mais, d’un coup de semonce unique le moral et ta présence reprennent le contrôle et me voilà à-même de rédiger ces lignes afin de maintenir un cap. Auré, cette nuit t’appartient. C’est peut-être elle qui me fit Homme. Tantôt ton spectre me réclame et tantôt je ne tire que le meilleur de lui. La journée du 23 mars se meurt et – plus que le quotidien – j’énumère les instants forts où tu étais présents sans être là depuis deux ans. Je me projette un peu dans les moments à venir et t’y vois nettement. Tu es en moi. La douleur de ta perte, je l’ai enfouie profondément. Elle veille à demi endormie. Comment faire autrement. Au détour de ces quelque lignes, je l’ai réveillée sans doute mais je me contente d’observer les souvenir de toi qu’elle transporte et stimule avec elle. En mon cœur déjà usé par la peine malgré mon petit quart de siècle, en ce cœur si difficile à ouvrir, tu es là. Puisses-tu y être bien. A jamais.

 

 

ff

Ton petit frère.
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